Les lettres de Maria

          J'ai brûlé. J'ai tout brûlé pour vous. Mes ailes, mes souvenirs. Même mon corps s'est consumé. Pour vous. Pour vos sourires. Ces sourires idiots qui vous rendent étrangement irrésistibles. Pour vous. Pour vos peaux. Ces peaux peut-être douces, peut-être chaudes. Ces peaux que l'on touche quand on est une privilégiée. Ces peaux de garçons fatigués, de petits hommes qui se veulent virils. J'ai tout brûlé.

          J'ai tout jeté. J'ai jeté ma raison, ma patience, mon âme, pour vous. Ma raison. Je l'ai jetée. Mes vieux cahiers, mes photos de vacances, mes amis. J'ai tout jeté. Pour vous. Pour votre attention, pour votre regard. J'ai tout jeté par la fenêtre, un jour de pluie, pour vous. Pour que vous veniez tout récupérer. Pour que vous m'aidiez. J'ai tout jeté. Sans même penser que vous ne m'aideriez pas. Sans même penser que je ne vous intéressais pas. J'ai tout jeté.

          Je me suis vidée. Je me suis vidée de toutes mes larmes, pour vous. Pour vous rappeler. Pour que vous reveniez me voir un jour. Je me suis vidée. Vidée de mes remords, vidée de ma rage. Parce que je vous voulais, vous. Vous. Je me suis vidée de toute rationalité pour vous. De toute mon innocence. Cette innocence qui faisait de moi cette jeune fille confiante. Je m'en suis vidée pour vous mettre à sa place. Vous. Je me suis vidée de tout.

          Je me suis faite manger. Pour vous. Je me suis faite manger par vos rires. Je me suis faite ronger par vos mots, vos promesses, vos maladresses. Mangée. Rongée. Pour vous. Pour vous donner envie de m'avoir comme j'avais envie de vous avoir. Pour vous combler. Je me suis laissée manger. Et c'est vous qui m'avez mangée. Je me suis faite manger.

          J'ai brûlé. J'ai tout brûlé pour vous. Mes yeux, mon âme, ma joie. Pour vous. Pour vos yeux à vous. Pour vos âmes, votre joie. J'ai tout brûlé pour vous. Pour vos mots. Ces mots sortis tout droit de vos cœurs, de vos âmes, sans arme aucune. J'ai brûlé pour vous. Ma vie, mon cœur, mon amour. Tout a brûlé pour vous. Pour vous. Vous. Toujours vous. J'ai brûlé mes vêtements. Pour vous. Tous mes vêtements. Pour ma mise à nu. J'ai tout brûlé. Tout. Tout. Tout.

          Tout. Tout. Tout a brûlé. Tout.

          J'ai tout brûlé, j'ai tout jeté pour vous. Je me suis vidée, me suis faite manger pour vous. J'ai tout brûlé. Et vous m'avez effacée. Vous m'avez noyée. Pour m'éteindre. Vous m'avez recouverte d'un voile noir. Pour me dissimuler. Vous m'avez laissée sur le bord de la route. Pour vous débarrasser. Vous m'avez remplie d'histoires. Pour m'empêcher de parler. Vous m'avez étouffée. Vous m'avez cassée. Sans même laisser de quoi me réparer.

          Vous avez tout pris, et vous êtes partis. Vous avez pris l'espoir. L'amour. La haine. Vous avez pris les deux, et je ne peux plus rien faire contre vous. Vous avez pris les cendres de ma vie pour les lancer dans les airs, comme pour lâcher les derniers restes de moi, gâcher mes derniers mots dans le vide d'un ciel sans étoiles. Vous avez tout pris, et vous êtes partis. Vous avez pris les restes de mon âme en guise de trophée. Vous avez pris mes rires pour les vendre au marché. Le bleu de mes yeux pour peindre vos tables de chevet. Vous avez pris mon sourire pour le tordre comme des ballons que l'on transforme en petits chiens. Vous avez tout pris. Ma raison pour vous moquer. Et vous êtes partis. Vous avez pris les cendres de ma vie pour les lancer dans les airs.

          Et vous m'avez laissée nue.